dimanche 7 janvier 2007

SKYLINE

2 - NEW BEAT
C'est vraiment très fou le disco, ça te gonfle le beat, ça te donne des érections... Gogol 1er.




La grande particularité du SKYLINE est d'être très particulier; pour devenir un Skyliner il faut changer de garde-robe. 
Le magasin Batter propose les fringues qu’il faut, j'achète mon premier Spector's ; le jeans est plus large que baggy, je rentre aisement entier dans une jambe XXXXXXL. C'est une sorte de pantalon pour obèse, ou un pantalon thaï revisité.
Il faut bien sûr la ceinture qui suit, très large, en cuir noir avec une grosse boucle chromée, rivets ou des pointes. Un blouson court genre boléro en jeans qui lui par contre est cintré très près du corps; la silhouette est sans doute inspirée par Corto Maltese. 





Pour les détails de beaux boutons en cuivre, décorés de chauve-souris, des plaques en cuivre genre plaque de flic à New York, rivetées sur la manche et à la ceinture. Pour la touche personnelle j'ajoute un tartan écossais du clan Campbell dans le dos, des épingles à nourrices et une étoile rouge qui vient d'URSS.  


Les jeans Marithé ou le Bill Tornade sont également de rigueur avec un tee-shirt Boy of London, Closed ou Speedy Graphito. 
Et bien sûr la veste de costard ou la veste autrichienne, la large cravate type années 70 et surtout le gilet sur chemise blanche avec ou sans jabot ; le mélange aristo punk colle bien au lieu. 


Jean Paul Gaultier est la référence du moment, il propose des blousons teintés de science-fiction limite steampunk, des vestes corsets et surtout des jupes pour les hommes... 


Le détail que tout le monde porte est le Smiley (le sourire), il devient très vite le symbole de l'Acid House.

Le 10 mars 1963 le New York Herald Tribune publie pour la première fois ce logo rond où 2 points pour les yeux et un arc de cercle pour le sourire simplifie à l’extrême un visage plein de joie. 




Il semble que ce dessin est été utilisé à la base pour la communication d’une compagnie d’assurance, ce n’est que bien plus tard qu’il a représenté une drogue : l’Ectasy. 

Le groupe anglais Bomb the Bass l’utilise en 1987 sur la pochette de son maxi « Beat Dis »; il monte en tête des charts britanniques comme par enchantement. Ensuite suivent des centaines de réutilisations du smiley sur d’autres pochettes, des badges, des tee-shirts, des chemises, des chaussettes, des slips…  




« Beat Dis » est l’un des premiers morceaux à utiliser à fond le sampler avec « Pump up the volume » de MAARS qui compte 30 samples différents. L'échantillonneur (le sampler) permet d’isoler des sons et de pourvoir les intégrer avec une grande liberté dans un morceau. 
Le scratching arrive également en force dans ces morceaux, ils ont été inspirés par Grand Master Flash dans " The Adventures of the Wheels of Steel » (1981) et le « Rock it » d’Herbie Handcock. 
Le scratching transforme les platines en un réel instrument de musique que l’on pourrait classer dans la famille des percussions. Les morceaux préexistant deviennent grâce à ces deux techniques de la matière première pour faire de nouvelles créations. Cela entraîne de longs débats sur la propriété artistique, les droits d’utilisation, le plagiat…  




The names have been change to protect the innocents. 
5, 4, 3, 2, 1 Thunderbirds are go 
Just! 
Thunderbirds are go 
Just, just Just feel it 
Hold it now 
Hold it,hold it, hold it,
Hold it now
What does it all mean? 
What do you want? 
Everybody in the street 
Get, get, get, a-get 
Get down to the funzy beat 
Beat dis! 
Beat dis! 
Beat dis! 
Keep this frequency clear 
Pump that bass 
This is a journey into sound 
Stereophonic sound 
for d-d-d-dance music 
You play Russian roulette this way 
Keep this frequency clear 
Music please 
Get down to the funky beat 
Get down to the funky beat 
Get down to the funky beat 
Beat, beat B-b-beat dis! 
Pump that bass 
Keep this frequency clear».
   


Aciiid Aciiid A AA AAA Aciiiiiid.
Aciiiiiiiiiiiiiid le cri strident que tout le monde pousse ; puis avec des sifflets d'arbitre nous reprenons le rythme en choeur. 
Aciiiiiiiiiiiiiid sort de « We call it Acid » de D Mob ; ce morceau venu de l’espace nous explique que le son utilisé dans ce morceau s’appelle Acid. 
Ce son découvert par hasard en bidouillant un séquenceur: la TB 303 de chez Roland; machine inventée en 1982, prévue pour jouer une ligne de guitare basse pendant que l'on joue seul de la guitare. Mais elle ne convainc pas les guitariste car les sons qu’elle sort sont trop éloignés d’une vrai guitare; elle ne trouve pas son public mais elle créera un style musical tout de même...


Néanmoins dès 1982 le musicien indien Charanjit Singh doit être le seul à  avoir enregistré un disque «Synthesizing : Ten ragas to a disco beat » où la TB est utilisée pour remplacer une guitare basse; une curiosité.  Puis l’instrument passe quelques années dans les placards, jusqu’à sa redécouverte.


CHICAGO HOUSE

Chicago 1985, Marshall Jefferson compose « I’ve lost control » sur Trax Records. Avec ce morceau il redéfini la dance musique pour les années à venir. 

La TB 303 y est pour la première fois torturée et détournée de son application originelle; les sons qui en sortent sont si étranges qu’ils fascinent les amateurs de synthétiseurs. L’instrument connait dès lors son heure de gloire ; il formera la sainte famille Acid House associé aux autres membres de la famille Roland : la TR606, TR808, et la TR909. 
Ces boites à rythmes aux sons caractéristiques, donnent la couleur et l’ambiance typique des morceaux House.
Le plus emblématique est sans doute « Acid Trax » de Phuture, composé par DJ Pierre, Earl 'Spanky' Smith Jr. et Herb J produit par Marshall Jefferson. 
Ce voyage navigue entre musique tribale africaine et science-fiction ; l’an 2000 approche et le fait de changer de millénaire inspire les artistes.



La 303 peut sortir des sons hallucinants ; elle n’a pourtant l’air de rien avec ses petites touches genre piano, mais cinq petits potards modulent les sons à l’infini. Ils vous permettent de prendre votre « potard » ; le geste caractéristique de la manipulation de ces minuscules boutons devient vite familier jusqu’à être reproduit par les danseurs. 

Cette petite boîte a autant d’impact sur la musique que la guitare électrique en son temps ; toute aussi stridente et rapide que sa grande soeur, mais inouïe, synthétique et futuriste.


Le Sky n'est pas loin de Lille, mais comme on rentre totalement saoul, il faut mieux y aller en bus. Ce bus existe, il s'arrête à 500 mètres de chez moi: le bonheur. On commence à être beaucoup, il en faudrait peut-être deux ?

Les Nuits Rouges sont les soirées phares de début du week-end, le vendredi c'est la foire d'empoigne au bar… Les barmans Franz et Marylin sont des stars; ils nous servent les verres de Martini blanc par 4. 

Toutes les boissons sont offertes de minuit à 1h00, de 2 à 3, et 4 à 5h00, quel zouk!


Le samedi est thématique.

Les soirées cocktail sont un peu comme les Nuits Rouges, mais là on t'offre une bouteille à l'entrée. On peut également demander un cercueil: tous les alcools plus parfois un peu d’alcool à 90°... 

Lors des soirées Casino, des roulettes permettent de miser ses Skyliners, on gagne ou on perd des boissons, misère!

Les soirées SM : « 15 coups de fouets si tu ne viens pas! » 
Dress code : guêpières cuir, porte jarretelles, colliers à pointe, martinets... No comment


Les soirées Catchs: dans le jardin un ring de boxe, combat entre Tarzan et Superman voire Batman.


Le strip tease de la Mère Noël, tous les ans c'est le cadeau de la maison. Je pense que le père Noël est un sacré coquin; il a la réputation d'être un Skyliner.


Je ne sais plus pour qu’elle occasion une farfare type Brass Band est entrée par les grandes portes fenêtres du bar ; à moins que je ne l’ai rêvée...

Marc Bulteau est un fabuleux metteur en scène et organisateur d'événements; son style est de proposer de l'inattendu, tout en surfant sur la vague et l’air du temps. 



Il donne beaucoup d’importance aux flyers qui annoncent les soirées, ils sont plein d’humour, d’érotisme, et d’avant-garde. Il en découle une vraie charte de club; un sentiment d'appartenance à une tribu marginale.
  

Le samedi à 15h00 une bande de Skyliners ravis commence à se donner rendez-vous sur la Grand Place de Lille. Le groupe devient tellement grand qu'il prend d'assaut Le Moderne; un café au fond du coin obtus de la place Rihour. Et voilà un repère d'habitués, 50 à 60 personnes squattent une grande pièce pour eux seuls. Ils ont tous un point commun: ils arpentent les autoroutes belges la nuit.



This is Belgium!

La Belgique développe très rapidement un son qui lui est propre; en réponse à la House américaine et à l’Acid House anglaise: la New Beat. 

Depuis plusieurs années des musiciens belges se sont investis dans le courant musical Electronic. 


Kraftwerk lance le mouvement en Europe de 1974 (Autobahn) à 1986 (Electric Café). Leurs œuvres sont soutirées à des synthétiseurs qu’ils ont eux-mêmes assemblés. 

Ce son unique marque toute une génération dont les belges de Telex qui sont parmi les premiers à suivre leur exemple. 
Leur morceau « Tour de France » de 1980 à même été fait avant le morceau « Tour de France » de Kraftwerk (1983), c'est dire...
En parallèle, au début des années 80 beaucoup de groupes Punk se sont tournés vers la musique électronique; ils ont développé la Synthpop (New Wave en français) basée en grande partie sur les performances du Yamaha DX7. La majorité des morceaux (y compris du Top 50) étaient composés avec des sons du DX7, et un solo de saxo bien sûr.

Jah Wobbel l’ex-bassiste du groupe de Johnny Rotten (ex-Clash) : PIL signe en 1981 un petit bijou « How much are they ? » qui préfigure l’ambiance mélancolique de la dance musique des années 80.



La Belgique invente l’Electronic Body Music à l'esthétique post-industrielle (les fermetures d'usines sont en constante augmentation depuis 1973).  Les sons samplés de machines-outils, les rythmes violents tabassés de manière frénétique marquent le début du plat pays comme la plaque tournante de l'electronic dance music. 



Front 242 est le groupe phare de ce mouvement, son image ambigüe laisse penser qu’il s’agit de néo nazis, mais ils ne font que jouer avec les symboles des idéologies extrémistes pour les désacraliser; comme ont commencé à le faire les punks avant eux. 


L’époque est mélancolie; is punk dead?

La Cold Wave qu’a insufflée le groupe Suicide à partir de 1970, s’est déclinée avec The Neon Judgement, Snowy Red (belges), Joy Division, The Cure, Anne Clark, A Split Second, Trisomie 21, Grauzone, Deux… 



Leur crédo, faut pas rigoler ! Cette ambiance morbide qui entre en résonance avec la crise et le chômage se nourrit du mal être des jeunes. 

Les nouveaux romantiques sont regardés comme des oiseaux de mauvaises augures, des corbeaux qui portent malheur, mais la réalité est qu’ils veulent faire peur pour qu’on les laisse tranquille; ils se camouflent, ils portent des masques, ils se protègent.


Le mélange expérimental entre Telex, Front 242, Snowy Red et la House a donné la New Beat; œuvre exclusivement belge où l’énergie joyeuse de la House que l’on rencontre dans les autres pays est détournée vers le rire jaune. 

C’est une musique lente et sombre, limite flippante comme le morceau « Saigon Nightmare » de King George, qui semble tout droit sortie d’un film d’horreur.





L’autre aspect de la New Beat est de parler ouvertement de sexe, et même d’en rire comme dans « Acid Sex » de Nasty Thoughts où les samples utilisés viennent de vieux films pornos.


Sky my house band.

Patrice Catteau bidouille une petite perle new beat: « Ecoutez et répétez ». 
Un morceau tout en basses, lent et souple; la mouvance belge aime ce temps presque suspendu, propice à une sensualité torride et mystérieuse.
Les serveurs dansent lors d’un live pour le baptême du morceau ; habillés comme d'habitude avec un petit boxer moulant, blanc, orné d'une coquille protège coco, tenus par des bretelles noires; des Docs montantes finissent de les habiller.



Ils dansent bien campés sur leurs pieds, seul leur cul marque le beat (c’est le Sampa). Celui-ci entraine tout le reste dans un balancement, les bras dessinent des mouvements amples, ils marquent les sons aigus; dans leurs mains des lampes torches balayent la pièce.
La très mignonne pochette du disque est l'oeuvre de Laurent Platelle. Ce graphiste de grand talent et Bulteau créent l’identité visuelle très forte et raffinée du Sky.


Techno ou House?
Les discussions vont bon train: écoute ce disque, "Baby wants to ride" Jamie Principle, Franky Knuckles, ça c'est un Trax, de la House de Chicago. 

Celui-là, "Big Fun" Kevin Saunderson c'est de la Techno, on dirait de la soul mais il y a un son de piano un peu étrange qui vient de Detroit. 


La Garage, un truc plus chanté, c'est la House de New York.
Mais l'Acid avec la 303, c'est américain ou anglais? 
On essaye de ranger, de comprendre mais ça évolue très vite. 

Le terme Techno devient un mot très porteur; il sera choisi par les médias, pour parler du phénomène entier, sans rentrer dans les subtilités.


En France on a même droit à des explications  pas du tout subtiles à propos de la House. 

Christophe Dechavanne, lors de son émission TV « Ciel mon mardi » présente un show dans une boite où des danseurs déguisés en nazis dansent en levant le bras en l'air. 

Ils choisissent cette provocation à deux balles pour faire un scandale médiatique: la House est une musique dégénérée! 
Les jeunes qui aiment la house sont présentés comme des néo-nazis. 


Pourquoi n'ont-ils pas remarqué que le type déguisé en Hitler se faisait prendre par derrière par un de ses petits copains; que doit-on en conclure?

Le morceau « War beat » des Bassline Boys est loin d’être représentatif de l’Acid House et ce n’est sans doute pas un bon morceau. On n’en aurait pas parlé si une chorégraphie provocatrice n’avait pas été organisée pour faire un show et de la publicité...

Les danseurs habillés en Hitler et sa garde se trémoussent en faisant le salut nazi. Ce n’est pas bien malin, c'est certain; d’autant plus que les personnes interrogées par Dechavanne sont incapables de se défendre, et ne voient même pas le mal...

Voilà une belle polémique, qui fera rester les gens tard devant le petit écran. 



Le morceau a pour refrain « Adolph, you are going to pay!” (Adolph, tu vas payer) le reste du morceau est un sample du fameux discours de Churchil, qui affirme la très forte volonté des britanniques à lutter contre le nazisme… 
Malgré cela personne n'est capable d'expliquer ce genre d'information. Les danseurs étaient dans la déconnade, ils n'ont rien vu venir...
Le souci est que cette émission donne une image lamentable à ce mouvement culturel et la France va être dédaigneuse pendant plusieures années: la house est une musique bâtarde, agressive, dérangeante,  boom boom identique pendant des heures, musique de drogués...

De nos jours pratiquement toutes les musiques sont empreintes de house et d’électro; mais il ne faut pas oublier que ça a été très long pour en arriver là.


J’ai regardé cette émission chez ma sœur de 20 ans mon ainé et lui ai dit : regarde cette émission, toi qui ne connais pas la house, c'est la musique qui me plait. 
Ma soeur m'a pris pour un facho, alors que le mouvement prône l’amour, c’était du grand n'importe quoi.

Pour la petite histoire la vengeance s'appelle “Dechavanne you are going to pay”, un morceau très clairement comique contre l’animateur provocateur. « Tu comprends pas, tu lèves le bras » en est le refrain.



Mais bon il faudra faire avec, les médias ont choisi de manipuler la réalité pour faire leurs choux gras, cela ne va pas empêcher la house de grandir. 


Le comble dans tout cela c’est que le générique de cette émission était « Rock da House » des Beatmasters; d'ailleurs la seul argument qui a fait mouche fut "mais si c'est une musique bâtarde, pourquoi vous l'utilisé dans votre générique?!?"

Mais c'est faire grand cas de Dechavanne  qui nous a montré depuis que son fond de commerce n'est pas la culture. 
Le Skyline ferme le 15 Juin 1990, c'est le début d'une autre histoire...